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Salut les dingos !

Entrons directement dans le vif du sujet avec un témoignage sur le métier de neuropsychologue en milieu carcéral. Merci infiniment à la personne qui a répondu à nos questions 🙏

 

Tout d’abord, peux-tu nous décrire ton parcours universitaire (diplômes et formations complémentaires éventuelles) ?

J’ai obtenu ma licence de psychologie à l’Université de Lorraine. Ensuite, je me suis dirigé vers le master de neuropsychologie cognitive et clinique de Strasbourg. Depuis, j’exerce mon métier au sein d’un hôpital spécialisé dans le traitement des troubles psychiatriques.

Au niveau des formations complémentaires, j’aimerais à l’avenir me former aux TCC, en plus d’avoir assisté aux formations proposées par l’établissement où je travaille comme les premiers secours, l’évaluation du risque suicidaire, la gestion de crises chez les patient.e.s…etc.

 

Dans ton parcours, ou même avant, qu’est-ce qui t’a poussé à t’orienter dans ce domaine ? (hasard ou vocation)

Pour ce qui est de la psychologie en général, je dirais que c’est plutôt une vocation. J’avais tenté une année de médecine, et la psychologie était mon deuxième vœu au moment du bac. Ensuite, après avoir un peu tâtonné dans les différentes approches qu’on nous proposait, je me suis rapproché de la neuropsychologie : j’appréciais beaucoup son côté rigoureux, basé sur énormément de travaux scientifiques. Et il y a encore tellement de choses à apprendre sur le cerveau !

Mon arrivée en milieu carcéral, par contre, est le fruit du hasard. Celles et ceux qui allaient devenir mes collègues m’ont rencontré pour discuter autour de diverses problématiques qu’ils retrouvaient : les distorsions cognitives et les difficultés de cognition sociale notamment. L’idée était de tester la neuropsychologie dans ce milieu, et cette perspective m’a intéressé. Quelques mois plus tard, j’intégrais leur service.

 

Comment définirais-tu le métier de neuropsychologue en milieu carcéral ?

Tout d’abord, il me semble important de préciser que mes réponses ne pourront concerner que ma pratique personnelle. Il m’est impossible de définir dans son entièreté le métier de neuropsychologue en milieu carcéral, tant les pratiques sont propres à chacun.

Pour ma part, je rencontre spécifiquement des auteurs de violences sexuelles. Avec ce type de population, il reste beaucoup de chemin à parcourir, étant donné les problématiques multiples et très diverses que rencontrent les patients : il n’y a pas de profil type, pas de case clinique « auteurs de violences sexuelles », mais une multitude de tableaux cliniques, une très grande hétérogénéité qui nécessite plusieurs axes de prise en charge. On peut y retrouver des carences affectives et des troubles de l’attachement, des troubles de la personnalité, des carences éducatives et des déficiences intellectuelles, mais aussi des traumatismes ou encore des paraphilies comme la pédophilie – qui est un diagnostic médical et non un motif d’incarcération !

En tant que neuropsychologue travaillant avec des auteurs de violences sexuelles, je suis dans le domaine de l’exploratoire, ou presque tout est à évaluer, à comprendre. Une immense place est laissée à la réflexion et à la création, ce qui n’empêche pas d’utiliser des outils déjà existants, comme les tests neuropsychologiques, ou d’en adapter d’autres. Dans tous les cas, l’intérêt de la neuropsychologie pour ce type de population étant très récent, les recherches sont encore peu nombreuses. Comprendre cette clinique-là, ou plutôt ces cliniques-là, nécessitera un travail de longue haleine.

 

Quelles sont tes activités / tes missions au quotidien ?

Au quotidien, je suis amené à faire des activités très variées : entretiens de première rencontre, évaluations neuropsychologiques, remédiation cognitive, psychothérapies, animation de groupes… Mais mon travail consiste aussi en des réunions cliniques et institutionnelles, ou encore des groupes de travail durant lesquels on crée, ensemble, les outils et les groupes que nous souhaitons mettre en place. Ces temps privilégiés entre collègues nous permettent de donner une cohérence au travail d’équipe et au parcours de soin des patients, comme dans n’importe quelle autre structure.

 

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ce métier par rapport à un domaine plus conventionnel ?

Il est vrai que, dans l’image que se font les gens de notre métier en général, un.e neuropsychologue exerce surtout en centre mémoire, en gériatrie, en neurologie ou encore en service de rééducation. Pourtant, on retrouve des neuropsychologues en psychiatrie, en service d’addictologie, en Centre Ressources Autisme…etc., et aussi en milieu carcéral.

Ce milieu-là est non conventionnel pour la neuropsychologie parce qu’on y dispose de moins d’outils, de moins d’éléments pour travailler avec les patients, que dans les autres structures citées. Ce qui m’a parlé à moi, c’est cet aspect exploratoire, cette place à prendre pour créer du matériel, des outils, des exercices adaptés à cette population encore trop peu explorée en neuropsychologie. Pourtant, évoquer le milieu carcéral pour son aspect non conventionnel nous met face à un risque : considérer les patients que l’on y rencontre comme ne faisant pas partie du même monde que ceux que l’on peut rencontrer ailleurs.

 

Y a-t-il des changements ou adaptations nécessaires à effectuer dans la pratique et la prise en charge dans ce type d’établissement et avec cette population ?

Je pense que, quel que soit l’établissement et la population, il est nécessaire de toujours se demander : qu’est-ce que l’on peut améliorer dans notre pratique ? Comment peut-on affiner la prise en charge ? Le travail avec les auteurs de violences sexuelles en milieu carcéral n’échappe pas à cette règle.

Dans l’état actuel des connaissances en neuropsychologie dans ce milieu-là, je parlerai plutôt d’apports et de construction, avant de parler de changements et d’adaptations. Des chercheurs et cliniciens se sont déjà penchés sur des sujets reliant neuropsychologie et auteurs de violences sexuelles (ex : Deschamps et al., 2017 ; Plante-Beaulieu, 2010 ; Vanderstukken et al., 2015), mais il y a encore beaucoup à faire.

 

Peux-tu nous dire si le fait d’être emprisonné engendre des conséquences psychologiques et/ou une détresse, dépression peut-être avec nécessité d’une prise en charge ? Est-ce que l’enfermement devient une problématique dans la prise en charge des détenus ?

Vu ma position, je ne suis pas le mieux placé pour évoquer cet aspect. Il existe des phénomènes tels que le choc carcéral, qui a bien été décrit dans la littérature (Lhuilier & Lemiszewska, 2001) et qui désigne l’impact psychologique que peuvent avoir l’enfermement et la privation des libertés sur les personnes incarcérées.

Néanmoins, ce choc carcéral apparaît dans les premiers temps de l’incarcération, et se retrouve surtout en maison d’arrêt. Dans ces dernières, on retrouve les personnes prévenues (qui n’ont pas encore été jugées), les personnes condamnées à une peine de deux ans maximum, mais aussi celles en attente d’affectation dans un établissement pour peines. Travaillant dans un Centre de Détention, qui est l’un de ces derniers, je n’y suis pas confronté : lorsque les détenus y sont transférés, ils ont déjà derrière eux un long parcours pénitentiaire.

 

Quels sont les  »outils » que tu utilises le plus souvent et pour quelles prises en charge ?

Pour l’évaluation, j’utilise l’échelle de Wechsler pour le QI, puis toute la panoplie de tests pour évaluer la mémoire, l’attention, le fonctionnement exécutif, la cognition sociale…

Pour la prise en charge, je cible particulièrement les difficultés sur le plan cognitif. J’ai donc tenté de créer des outils de type remédiation cognitive : l’un contient des exercices qui ciblent un peu toutes les fonctions cognitives de façon écologique, et l’autre se centre sur les émotions, la cognition sociale et le lien entre émotions et événements de vie. Cela reste encore très rudimentaire et nécessitera des apports et des améliorations à l’avenir.

Durant ma courte expérience, j’ai surtout travaillé avec des patients présentant une déficience intellectuelle, qui allaient intégrer ou avaient déjà intégré un groupe psychoéducatif adapté à leur niveau. Ainsi, j’ai réfléchi à ces outils en me basant sur ces patients-là, ce qui limite leur utilisation mais s’avérait nécessaire pour se calquer au mieux sur le niveau intellectuel des patients.

J’essaie ainsi de travailler avec les patients sur leurs capacités à reconnaître les émotions, à s’organiser, à retenir, etc. en m’appuyant sur ces divers outils pour avancer avec eux.

 

Les détenus sont-ils obligés de suivre un soutien psychologique ou ne traitent-ils que des patients spécifiques dans le milieu carcéral ? Les détenus peuvent-ils refuser les rendez-vous avec le psychologue ?

Les prises en charge dépendent des souhaits du patient. Ils sont questionnés sur leurs attentes, leurs objectifs, ce qu’ils souhaitent tirer d’un suivi au sein du service. Il arrive certes que des patients viennent aux consultations pour répondre à une demande judiciaire, sans réelle motivation intrinsèque concernant un suivi (ex : pour obtenir des remises de peine). Ce serait oublier que nous travaillons dans un service rattaché à l’hôpital. Il dépend alors du Ministère de la Santé, et en aucun cas du Ministère de la Justice.

 

As-tu accès à un dossier avant la prise en charge du patient ? Quelles informations contient-il ?

En général, nous avons accès à l’expertise psychiatrique des patients, mais y recourir trop facilement nous ferait oublier une caractéristique majeure de l’entretien : la rencontre avec l’humain.

 

Avec qui le neuropsychologue travaille-t-il dans ce milieu ? Collaboration avec d’autres professionnels ou seul pour son diagnostic ?

Je ne pourrais fournir ici que mon exemple personnel, car tous les services ne fonctionnent pas de la même manière. Personnellement, je travaille avec différent.e.s professionnel.le.s qui sont psychiatres, psychologues, infirmiers… mais aussi des professionnel.le.s d’autres services avec lesquel.le.s il est indispensable d’échanger.

Je pense que travailler seul, lorsque l’on est confronté à des patients quels qu’ils soient, est impossible. Il y a une nécessité de croiser les regards, de multiplier les approches, de regarder le patient et son histoire à travers un prisme pluridisciplinaire. Il y a une obligation d’échanger, de partager les points de vue, les connaissances, ce que l’on a observé lors de nos évaluations respectives. C’est ce qui permet de coordonner les soins et de proposer ensuite au patient la prise en charge la plus adaptée à ses problématiques.

 

Quelles sont les principales difficultés liées à ce métier ?

Comme je l’ai déjà évoqué, la difficulté est liée au caractère exploratoire de la pratique de la neuropsychologie en milieu carcéral. Il est forcément plus difficile de travailler avec des patients lorsqu’on ne dispose pas de tous les outils nécessaires. C’est donc à la fois quelque chose qui m’a poussé vers cette pratique et qui en représente une difficulté majeure.

 

Peut-être as-tu des choses à ajouter que l’on n’a pas abordé ?

Beaucoup d’idées reçues circulent autour de la prison et des auteurs de violences sexuelles. Je pense par exemple à la terminologie employée qui n’est pas toujours adéquate (évoquer la pédophilie comme un motif d’incarcération alors que c’est un diagnostic médical, parler d’ « abus sexuel » au lieu d’ « agression sexuelle »… ce qui suggère que, comme pour l’abus d’alcool, il y aurait une dose acceptable ?). Il faudrait des livres entiers pour recenser les clichés et les démonter un par un.

Cette image sans cesse véhiculée de la prison comme lieu de toutes les fascinations n’a pas lieu d’être. Finalement, une fois passé les portes et les murs, la personne en face de nous n’est ni un monstre, ni un individu source de curiosité déplacée pour les autres. Elle est un être humain en souffrance. De là l’intérêt de les intégrer au sein d’un dispositif de soins.

 

Ressources bibliographiques
Deschamps, M., Sorel, O., Dieu, E., & Allain, P. (2017). Évaluation des aptitudes exécutives et de cognition sociale dans la violence sexuelle: une étude de cas. Revue de neuropsychologie, 9(3), 178-184.

Lhuilier, D., & Lemiszewska, A. (2001). Le choc carcéral: Survivre en prison. Bayard.

Plante-Beaulieu, J. (2010). Profils neuropsychologiques des pédophiles (Doctoral dissertation, Université du Québec à Trois-Rivières).

Vanderstukken, O., Benbouriche, M., Pham, T. H., & Lefebvre, L. (2015). Les distorsions cognitives des auteurs d’agression sexuelle d’enfant: définitions, fonctions, et enjeux théoriques. Journal de thérapie comportementale et cognitive, 25(1), 29-34.

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Les Psychodingues

Les Psychodingues

Né le 23 septembre 2011, dans une chambre étudiante et toujours là pour vous proposer des informations, des conseils et autres témoignages sur les études de psychologie et le parcours universitaire.

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